
Humanisme – 70 ans d’Humanisme en revues 1955-2025
Revue des francs-maçons du Grand Orient de France
Conform Edition. Numéro 347, mais 2025. 13€.
Il y a dans certaines publications une gravité joyeuse, une vibration qui ne se mesure ni en signes ni en pages, mais en résonances secrètes. Le numéro 347 de la revue Humanisme est de ceux-là. Il célèbre certes une durée – soixante-dix ans d’idées et de combats – mais il célèbre surtout une fidélité : celle d’un Ordre à sa vocation d’éclaireur, et celle d’une parole à son exigence de Vérité.
Dès les premiers mots de l’éditorial, le ton est donné. « Le règne des azincourtisans » n’est pas un simple billet d’humeur : c’est un chant de résistance. Christophe Devillers y invoque, dans une langue taillée au silex, les figures d’un monde où la pensée recule, où la médiocrité parade, où la bêtise se farde des atours du pouvoir. Et pourtant, c’est dans ce temps de déroute – « ce temps de chien pour les humanistes » – qu’Humanisme s’avance, non pour geindre, mais pour affirmer. Car ce que nous offre ce numéro, c’est une architecture de pensée, une cathédrale d’engagements, dont chaque pierre est un article, chaque ogive une mémoire, chaque vitrail une espérance.
Ce n’est pas une rétrospective, mais une anamorphose. En remontant les archives de la
revue – des mots de Fred Zeller en 1965 à ceux de Marc Riglet en 2022, en passant par les entretiens lumineux avec Michel Serres, Élisabeth Badinter ou encore André Bellon – nous ne découvrons pas un passé immobile, mais une conscience en mouvement. Une mémoire vivante, active, agissante. À chaque décennie son combat, à chaque page sa lumière. Et toujours, en filigrane, cette question que pose toute démarche initiatique : comment être juste, dans un monde qui ne l’est pas ?
Ce numéro n’est pas une collection d’articles… c’est une Tenue à ciel ouvert. Les colonnes y sont dressées par les mots, la voûte étoilée s’y compose d’idées, et les travaux s’y déroulent dans la pleine lumière de l’Esprit. Les lecteurs que nous sommes y deviennent des Frères, appelés à méditer, à transmettre, à s’engager. L’entretien avec ChatGPT – d’abord surprenant, presque incongru – devient, dans cette perspective, un miroir supplémentaire : celui de l’homme face à sa propre création, et de la Maçonnerie face à sa propre responsabilité dans un monde où les frontières entre le vrai et le faux s’effondrent.
La quatrième de couverture nous rappelle cette vocation première d’Humanisme : porter la parole d’un Ordre, non pour le faire rayonner lui-même, mais pour qu’il rayonne par ce qu’il défend. La liberté de conscience, la laïcité, la dignité, la mémoire, la fraternité active, l’intelligence en actes. Là où tant d’écrits ne sont plus que des produits de consommation idéologique, Humanisme demeure un creuset. Une forge. Un lieu d’épreuve, au sens initiatique du terme.
Ce que célèbre ce numéro, ce n’est pas tant une longévité que la persistance d’un feu. Un feu que les ténèbres contemporaines ne parviennent pas à éteindre. Un feu qui, depuis 1955, éclaire les recoins du Temple comme ceux de la cité. C’est ce feu que convoque la citation de Mark Twain en exergue : cette « terrible dignité » à laquelle nous sommes tous conviés lorsque nous choisissons de penser, d’éduquer, d’aimer librement.
Christophe Devillers, l’artisan discret de cette orchestration, est plus qu’un directeur de publication : il est un passeur. Philosophe de l’ombre, pédagogue de l’essentiel, sa plume engage, secoue, invite. Il ne commente pas l’époque, il la défie. Et à travers lui, c’est toute la revue Humanisme qui se dresse, non comme un monument, mais comme un viatique. Un viatique pour les francs-maçons du Grand Orient, bien sûr, mais aussi pour tous les Cherchants, les éveillés, les veilleurs.
Il y a quelque chose de prophétique dans ce numéro. Non pas au sens d’un avenir prédit, mais au sens biblique : une parole qui tranche, qui éclaire, qui appelle. Et c’est en cela que ce 70e anniversaire dépasse l’hommage. Il devient appel… Appel à penser, à construire, à se relier. Appel à habiter le monde avec une conscience plus haute, plus fraternelle, plus libre. À l’image du Temple, que l’on bâtit non pas pour soi, mais pour y accueillir l’invisible.
Humanisme, depuis 1955, n’a cessé de bâtir ce Temple. Et ce numéro 347 en est l’une des pierres d’angle. Nous y entrons comme dans une Loge. Nous en ressortons le cœur battant, l’âme ébranlée, l’intellect éveillé. Et le silence qui suit sa lecture n’est pas un vide : c’est un recueillement. Celui qui précède toute œuvre vraie.